Les classes de l’enseignement spécialisé de type 1 – forme 3, conçu pour des déficients mentaux, sont très hétérogènes. On y trouve des primo-arrivants, des déclassés du système scolaire et des déficients chroniques. Dans ce contexte, le handicap est un mot tabou. Ce qui brouille les pistes d’une information sur l’après école.
L’enseignement de type 1 – forme 3 a été conçu pour des élèves mentalement déficients. La réalité est plus nuancée. «On retrouve aussi dans le type 1 – forme 3 des personnes en décrochage scolaire, pas forcément en situation de déficience intellectuelle chronique installée, affirme Sophie Donnay, du service Phare.» Dans ces classes se côtoient des personnes qui, effectivement, souffrent d’un handicap léger. Mais aussi des primo-arrivants qui traînent dans ces écoles spécialisées leurs difficultés avec la langue française. Ou encore, «des élèves qui se retrouvent là à cause de difficultés pédagogiques, d’un manque de stimulation intellectuelle, ajoute la psychologue de Phare.» «C’est clair que certains élèves sont en quelque sorte éjectés de l’ordinaire, ajoute Christine Stevens, coordinatrice pédagogique à l’école Joie de vivre. Pour une partie des élèves on supplée aux échecs de l’ordinaire. De plus, ces élèves ont perdu toute estime d’eux-mêmes.»
Pourtant, les élèves passent des tests de quotient intellectuel, rencontrent des psychologues et assistants sociaux avant d’être orientés vers le spécialisé. L’orientation n’est pas censée être faite à la légère. Mais il semble que certains passent à travers ces filets. «Beaucoup présentent les caractéristiques d’une déficience intellectuelle nuance Sophie Donnay, mais l’origine de ces difficultés est différente.» Des difficultés que Benoît Lengelé, directeur de l’école spécialisée joie de vivre résume ainsi : «Difficulté réelles d’apprentissage et de mémorisation qui nécessitent de répéter régulièrement les consignes.»
La multiplicité des profils et le côté « fourre-tout » de ces classes rend parfois les choses difficiles lorsqu’on les informe de ce qui les attend après l’école. Selon Catherine Demoulin, «cela ne permet pas toujours de proposer une information ciblée».
Handicap, le grand tabou
C’est autour de la question du handicap que les difficultés se cristallisent. «Ici, les élèves ne se considèrent pas comme handicapés, raconte le directeur de l’Institut Charles Gheude, dans les Marolles, à Bruxelles. Donc ils n’acceptent pas l’accompagnement prévu dans ce cadre.» «Comment aborder cette question face à des élèves qui n’ont jamais parlé de handicap et qui pour certains ne sont pas handicapés ? C’est la grande difficulté», résume Muriel Atisy, coordinatrice de la maison de l’emploi à Ixelles (Actiris).
Pour certains élèves, leur présence dans le spécialisé est l’objet de malentendus profonds.
Certains disent ne pas vraiment savoir quelles sont les spécificités de leur école. Ils n’évoqueront jamais des «déficiences mentales». Sara, à 18 ans, pense que son école est consacrée «aux élèves qui ont des difficultés en mathématiques ou en français». Lorsqu’elle comprend que pour poursuivre ses études dans l’ordinaire, il lui faudra reprendre ses études en 4ème ou en 5ème professionnelle, avec des petits jeunots, c’est l’amertume qui prend le dessus : «ça me dérange de devoir recommencer en quatrième, dit-elle ; c’est comme si les études que j’ai faites ici n’avaient servi à rien.»
Même sentiment chez Soufiane qui «ne comprend toujours pas pourquoi il faudrait retourner en 5ème». Pour lui aussi, l’école Peeters travaille avec des élèves «qui pour certains ont des difficultés» ; mais, ajoute-t-il, «je ne pense pas qu’on parle handicaps». C’est clair, le vrai handicap, aux yeux de Soufiane, c’est le pedigree de son école : «C’est un handicap d’être dans une école spéciale. Quand on me demande ce que je fais, j’invente. J’essaye d’éviter, c’est embarrassant car les gens vont croire que je suis handicapé.»
Alors beaucoup veulent se débarrasser de cette étiquette «made in handicap» de l’école spécialisée. Ils sont nombreux à vouloir rejoindre l’ordinaire, quitte à ravaler sa fierté et à se retrouver avec des tous jeunes en 4ème professionnelle. Sauf qu’une fois sortis de l’école spécialisée, il se trouve que l’intégration dans l’ordinaire ne se passe pas toujours très bien. «Le rythme de travail est élevé, le nombre d’élèves par classe est plus important, certains ne s’en sortent pas», énumère Jézabel Lans.
Le fait d’être allergique au mot «handicap» aboutit à ce que certains élèves passent à côté d’une aide qui aurait pu leur être précieuse. Très peu se rendent spontanément, après un enseignement spécialisé de type 1, dans les locaux de Phare. La plupart s’orientent vers des services généraux. Ce qui semble logique pour la plupart de ces élèves. «Mais pour les moins autonomes, ou ceux qui ont besoin d’aide pour un projet professionnel, notre aide pourrait être utile, car les services généralistes sont parfois démunis sur la question du handicap, estime Marie Carton, psychologue chez Phare.» Et sa collègue, Sophie donnay, d’enchainer : «Nous remarquons que beaucoup d’élèves qui sortent du spécialisé essayent un peu toutes les possibilités qui s’ouvrent à eux, ils se plantent, dépriment, se marginalisent et reviennent chez nous en dernier recours.»
Enfin, les impacts de ce «tabou» du handicap ne sont pas non plus anodins lorsqu’on évoque la recherche d’emploi et l’inscription en tant que demandeur d’emploi. «Lorsqu’ils viennent chez Actiris, ces élèves n’ont pas envie d’être identifiés comme des personnes à difficulté, ils ont envie de se fondre dans le public ordinaire, déclare Christine Corombokis de l’antenne Ixelloise d’Actiris. Ils ont une certaine pudeur.» Du coup, l’orientation éventuelle vers la consultation sociale d’Actiris – dont les délais pour obtenir un premier rendez-vous sont déjà longs – prendra davantage de temps. C’est pourtant au sein de cette consultation que des solutions plus fines et adaptées pourraient être trouvées pour des personnes en difficulté. «Si la difficulté n’est pas bien identifiée, alors l’orientation ne sera pas bien faite, regrette Muriel Atisy.»